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Sourions, professeur : biographie de Joseph Haydn par Lucien Noullez

Joseph Haydn fut et demeure un professeur intègre. Cela ne l’empêchait pas de sourire. Son sourire et sa science nous instruisent encore…

Que pouvait-on attendre d’un gamin pauvre, né au début du printemps 1732 à Rohrau, un patelin autrichien sans prestige, proche de la Hongrie ?

La famille Haydn vivait à deux doigts de la misère, mais Joseph possédait une jolie voix. On le plaça donc chez un vague cousin, qui lui apprit à lire, à calculer, à baragouiner le latin, et à chanter aussi[1]. Le petit garçon de cinq ou six ans devint un excellent chantre et un timbalier capable d’accompagner les musiciens dans divers orchestres professionnels. Les percussions sont des instruments subtils. Joseph Haydn leur donna ultérieurement une belle place dans ses œuvres.

On prétend que sa biographie ne posséderait aucun caractère romanesque[2]. Cette vie semble étale. Haydn fut en effet assez tôt installé au service de la cour prestigieuse des Princes Esterhazy. Il n’a jamais fait que deux voyages à Londres vers la fin de sa vie. Son histoire matrimoniale fut morne. Il faisait chambre à part, et les quelques aventures qu’on lui connut ne perturbèrent guère sa tranquillité. La vie de Haydn ne présenterait donc rien d’intéressant : les livrées, le service, la routine, un travail acharné mais régulier… Joseph passait pour un pépère. On prétendit même qu’il fut le père du quatuor et le père de la symphonie, ce qui est nettement exagéré. Mozart, puis Beethoven, puis tout le 19è siècle l’appelèrent pourtant « Papa Haydn ».

Or, ce sobriquet, qui malheureusement court toujours, masque plus qu’il ne révèle la personnalité de ce génie. Car celui-ci présente bien plus une figure institutrice que paternelle. Haydn n’eut d’ailleurs pas d’enfants, mais il instruisit de nombreux élèves. Un instituteur sait beaucoup mais il s’honore de l’ignorance de ceux qu’il se propose à instruire, c’est-à-dire à faire grandir. Un instituteur se met à niveau, jamais par condescendance, mais par respect. Il reçoit une tradition, et il la met au gout du jour[3]. C’est en ce sens qu’on put prétendre que notre homme fonda les formes classiques. En fait il inventait peu, du point de vue formel. Il recevait les structures musicales de ses prédécesseurs, il les peaufinait, il les poussait à la perfection, et puis il transmettait toute sa science à ses disciples.

Écouter Haydn aujourd’hui encore est une aventure surprenante. On sait presque toujours ce qui va se passer, mais tout est dans le « presque », évidemment. Les nombreuses surprises que recèlent ses symphonies (on en compte 104), ses sonates pour piano (62), ses trios à clavier (45) ou ses quatuors (83) tiennent parfois de changements d’humeurs inattendus, ou d’orchestrations savamment et inopinément épicées. Ou alors, ces saisissements viennent tout simplement, de trouvailles issues des musiques populaires magyares ou viennoises. Car ce fils du peuple ne dédaigna jamais les terreaux populaires.

Voilà Joseph Haydn. Un robuste raffiné. Un élégant rustique. Une vaste oxymore à lui tout seul ! Et voilà probablement ce qui fit de lui un très grand professeur. L’humour sans doute, dont il était pétri, lui apprit ce métier, car sans humour l’enseignement est terne et prétentieux. Le panache, ensuite, lui donna sa stature de prof, car sans panache l’école se flétrit. La connaissance aussi, bien sûr, mais tout savoir serait stérile, si le maitre ne s’ouvrait à ses disciples, et s’il ne se laissait à son tour enseigner par chacun d’eux[4].

En l’écoutant abondamment ces jours-ci, je me disais qu’on avait encore beaucoup à apprendre de Joseph Haydn. La solidité de ses constructions autant que ses dérapages aiguisent notre ouïe. Qui a vécu de nombreuses heures en sa compagnie cultive ce que j’oserais appeler une oreille panoramique…

On peut en effet, grâce à lui, aborder toute l’histoire de la musique. Haydn est un pivot, c’est-à-dire un grand professeur. Il est prodigieux, parce qu’il révèle le passé et laisse libre cours à l’avenir.

Voilà pourquoi son sourire demeurera toujours en flottaison dans nos oreilles.

Lucien Noullez

Source de l’article : revue Rivages n°36, « Enseigner », juillet 2022. Article publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.


[1] Joseph Haydn était donc de piètre instruction. Toute sa vie, il ne parla que le patois de son village. Mais cela n’était ni rare, ni ridicule à l’époque.

[2] C’est le cas par exemple de Pierre Barbaud, dont le petit Haydn, publié en 1978 dans la collection Solfège, au Seuil, n’en demeure pas moins de lecture passionnante, quoique forcément datée. Mais on me signale aussi un roman néerlandais dû à Theun de Vries : Het hoofd van Haydn, qui raconte l’histoire macabre, drolatique et pourtant avérée de la décapitation posthume du compositeur.

[3] Voir l’évangile de Luc, chapitre 4, versets 14 à 21.

[4] On doit à la vérité de reconnaitre que les quelques leçons que Haydn donna à Beethoven en 1792 se soldèrent par un échec. On a retrouvé quelques devoirs du jeune élève à peine corrigés par le vieux maitre. Cette nonchalance s’expliquerait par une jalousie plus ou moins consciente.

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